Se déplacer
#ConventionCitoyenne Espace de contribution sur la thématique "Se déplacer"
Fermer les aéroports ? Vertiges, arbitrages, et solidarité
Peut-on à la fois maintenir le secteur de l'aviation civile et éviter un emballement catastrophique du système climatique ?
À partir de l'exemple de l'aviation, cette contribution cherche à soulever quelques questions de fond et de méthodologie que les participant·es à la CCC devraient en toute logique être amener à se poser.
-----
**CONTRIBUTION**
Le trafic aérien actuel (et a fortiori son augmentation) est profondément incompatible avec l’objectif fixé de réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Il l'est encore moins si on considère l'objectif de neutralité carbone en 2050.
Il suffit pour s’en rendre compte de comparer les 2,7 tonnes équivalent CO2 (teqCO2) émises lors d'un trajet aller-retour Paris New-York [1] aux budgets carbones compatibles avec les objectifs ci-dessus : 4,8 teqCO2 par an par habitant en 2030 ; 0,7 teqCO2 en 2050 [2].
Une réduction d’un facteur 5 d’ici 2030 serait nécessaire puis d’un facteur 30 au minimum d’ici 2050 [3], sauf à engager des efforts encore plus importants sur des secteurs majeurs comme le logement, les transports routiers, les services publics ou l’agriculture. Si on s’accorde à dire que ces réductions sont nécessaires pour éviter un chaos climatique global, la question de la disparition de l’aviation civile se pose.
En effet, le secteur ne pourrait se maintenir dans ces conditions qu’en augmentant très fortement ses prix (rendant ce service inaccessible à la grande majorité de la population) ou en le considérant comme un service public largement subventionné par l’impôt et en réglementant ses usages (par exemple, droit à un ou deux uniques vols aller-retour par citoyen dans sa vie). Les moyens humains et financiers alloués dans ce cas au maintien de cette activité ne pourront évidemment pas être alloués ailleurs, à d’autres services publics essentiels.
Il y a donc un arbitrage à faire entre décider ou non de maintenir cette activité et celles associées comme la construction des appareils. Si notre choix collectif est d’y mettre fin, nous devons planifier cet arrêt en fixant des objectifs intermédiaires (par exemple, fermeture de tous les aéroports hors Île-de-France d’ici 2030, puis des aéroports parisiens en 2040) et en garantissant aux personnes concernées un accompagnement à la reconversion professionnelle.
Cet exemple permet de mettre en évidence plusieurs choses importantes pour les débats en cours au sein de la convention citoyenne : (1) avoir une idée claire des chiffres et de la réalité physique du monde est une condition indispensable pour la cohérence des débats et des solutions proposées : tout n’est pas faisable ; (2) prendre au sérieux la menace climatique et agir en conséquence implique une transformation vertigineuse de notre société ; (3) des arbitrages difficiles doivent être débattus et décidés collectivement, en étant lucides et honnêtes sur les contreparties que tel ou tel choix impose ; (4) fixer les objectifs, planifier les transformations nécessaires, et assurer la solidarité collective sont des étapes cruciales, dont l’acceptabilité sociale dépendra en grande partie de la légitimité perçue des processus de décision.
Note importante : en réalité, les années 2020 ou 2030 seront très probablement celles du pic pétrolier mondial [4]. Dans un contexte d'approvisionnement en carburants de plus en plus contraint, le secteur de l'aviation civile fait face à un avenir plus qu'incertain. La question posée doit donc plutôt s'envisager comme une décision à prendre entre une contrainte choisie (et donc pilotable dans une certaine mesure) ou subie (rendant les mécanismes de solidarité collective probablement plus difficiles à mettre en place). Cet élément de contexte est fondamental pour pouvoir prendre des décisions éclairées sur les arbitrages à faire, quel que soit le secteur concerné.
[1] données ADEME Bilan GES, facteur d'émission de 0,23 kg eq CO2 par km
[2] soit 50 millions de teqCO2 à l'échelle du pays, chiffre correspondant aux puits de carbone actuels
[3] dans l'hypothèse où nous déciderions de consacrer 5 % de notre budget carbone à l'aviation, le reste étant destiné aux besoins essentiels liés à l'alimentation, le logement, la mobilité quotidienne, les services publics (santé, éducation, justice...). Cela correspondrait, par habitant, à un trajet aller-retour Paris New-York tous les 10 ans en 2030, puis un trajet tous les 60 ans en 2050.
[4] voir par exemple les alertes lancées par l'Agence Internationale de l’Énergie sur le déclin amorcé des exploitations de pétroles dits ""conventionnels"", représentant environ 85 % de la production pétrolière actuelle
-----
**A PROPOS**
Les Greniers d'Abondance est une association dont l'objet est l'étude de la vulnérabilité de notre société face aux enjeux socio-écologiques actuels et des voies de résilience qui peuvent être empruntées. Nos travaux portent principalement sur le système alimentaire et l'accompagnement des collectivités territoriales dans la mise en place de systèmes locaux résilients.
Signaler un problème
Ce contenu est-il inapproprié ?